« La Grande Démission », l’expression est sur toutes les lèvres et fait trembler plus d’un service RH. Après les multiples « vagues Covid », viennent les vagues de démissions. Selon une étude récente de la Dares, plus de 500 000 salariés ont démissionné, dont 470 000 CDI. Disparus, volatilisés. Mais comment faire pour les retenir ? Comment recruter et fidéliser les talents ? Et que faut-il mettre en place pour attirer et les retenir ?
Pour trouver des pistes de réflexions, nous avons donné la parole à trois experts réunis à Lyon chez Newton Offices Vaise et interrogés par Jean-Christophe Baudais, spécialiste du recrutement et fondateur d’INOIB :
- Laurent de la Clergerie, Fondateur du groupe LDLC
- Hélène Wirrmann, experte de marque positive au sein du cabinet UTOPIES
- Guillaume Pellegrin, Fondateur de Newton Offices
L’étude Great Insights 2022 menée par Great Place to Work révèle que, pour 41% des personnes interrogées, « l’équilibre entre vie pro et vie de famille » constitue un des aspects les plus important de leur travail. Comment favoriser cet équilibre de vie ?
Depuis deux ans, le groupe LDLC, spécialiste de la vente de matériel informatique, a instauré la semaine de quatre jours. Une démarche réfléchie et structurée, avec des moyens mobilisés, qui s’est avérée très rentable. Mais, de manière rétrospective, la semaine de quatre jours est venue avec son lot de surprises… « Cette démarche avait pour ambition d’apporter plus de bien-être aux équipes, raconte Laurent de la Clergerie, président du groupe LDLC, mais je pensais qu’elle impliquait nécessairement un coût pour l’entreprise : recruter davantage. Or, je me suis aperçu que non, cela ne générait aucun coût in fine. Pourquoi ? Simplement parce qu’on travaille mieux et plus en 4 jours et 32 heures, qu’en 5 jours et 35 heures. Cela paraît antinomique, mais c’est réel et naturel. Et, pour accomplir une même charge de travail, nous n’avons pas eu besoin de recruter. »
Pour Laurent de la Clergerie, qui s’attendait à voir ce changement accueilli avec enthousiasme, il fallait encore affronter une autre surprise. « Je me suis aperçu qu’il y avait des réticences du côté des managers, explique-t-il. On m’a dit : « c’est ingérable, tu vas foutre le bordel dans la boîte ». Et finalement, surprise ! Au bout de trois mois de mise en pratique, il n’y en a pas un qui souhaiterait revenir en arrière. » Et, tandis qu’il pensait améliorer les conditions de travail de ses salariés, Laurent de la Clergerie assiste à une amélioration plus globale. « Avec cette mesure, la vie des gens s’est trouvée plus équilibrée. Ça a changé leur vie. Quand on a un jour off dans la semaine, on a le temps de décompresser et de traiter certaines tâches. Du coup, quand on revient au travail, on ne ramène pas de souci perso avec soi. On vient au travail la tête vide de souci et on travaille mieux. Et parce qu’on travaille mieux, on revient mieux chez soi. Le cercle familial se porte mieux. Et ainsi de suite : c’est un cercle vertueux. »
Comment faire avancer concrètement les consciences et pratiques en entreprise pour mieux prendre en compte la qualité de vie au travail ?
Hélène Wirrmann, manager en stratégie RSE et marque positive au sein du cabinet Utopies, observe que « la question sous-jacente de la qualité de vie au travail reste celle du sens ». À quoi sert mon travail ? À quoi sert mon entreprise ? Lorsqu’elle accompagne une entreprise, elle part de la contribution que l’entreprise peut apporter à la société, au-delà de ce qu’elle apporte via ses produits ou services. « On étudie ensemble comment rendre plus concret le sens que l’entreprise donne à sa mission, résume-t-elle. Sur la partie collaborateurs, beaucoup de mesures sont possibles, on propose différentes pratiques en cohérence avec la vision, les valeurs et la culture de l’entreprise. Par exemple, au-delà de la possibilité de faire du télétravail, il y a des attentes importantes sur la flexibilité au travail, en particulier sur l’organisation du planning pour permettre à chacun de mieux gérer sa vie personnelle. Il y a aussi toute une série de congés spécifiques (aidant, menstruel, associatif…) que l’on peut mettre en place pour faciliter la vie de ses salariés ou pour leur permettre de consacrer du temps à certaines personnes ou activités ou encore différentes chartes auxquelles adhérer sur certains sujets (parentalité, diversité et inclusion…). Celles-ci permettent à l’entreprise de s’inscrire dans un cadre d’engagements et de structurer ses actions. »
Comment l’entreprise, qui poursuit un objectif de performance et de rentabilité, peut-elle donner du sens à sa mission ?
« Cela fait des années que je fais des immeubles de bureaux, raconte Guillaume Pellegrin, Président Fondateur de Newton Offices. Or, l’immeuble a un impact sur son environnement. Car, dès l’instant où l’on touche à l’immobilier, on touche à la ville et à la vie des gens. La manière dont on va penser ce lieu aura donc un impact sur l’expérience qu’il propose aux personnes. J’ai toujours cherché à mettre du sens dans l’usage que je souhaite faire d’un lieu, mais aussi dans les matériaux qui le composent et la manière dont il est réalisé. C’est ainsi que j’ai décidé de faire évoluer le produit d’immeuble de bureaux, vers un lieu de vie et de travail qui réponde à plusieurs usages (salles de travail, de réunion, de sport, de bien-être) et destiné à plusieurs types de profils (indépendants, grands groupes, startups, TPE et PME). La raison d’être de Newton Offices c’est cela : accompagner le déploiement de l’économie dans les villes et les territoires. »
Donner du sens à sa mission n’est pas incompatible avec rentabilité et performance, bien au contraire. « Définir la raison d’être de l’entreprise revient à réfléchir à ce qu’elle peut apporter de positif à la société, précise Hélène Wirrmann du cabinet Utopies. C’est à la croisée de ce qui vient de l’interne ( “ce en quoi vous êtes bon” et “ce que vous aimez faire” qui motive et rend fier) et ce qui est attendu de l’externe (“ce dont le monde a besoin”, c’est à dire les enjeux clés du marché et “ce pour quoi vous êtes payé”). La raison d’être donne une direction donc, c’est un filtre de décision stratégique, mais ça n’a d’intérêt que si c’est suivi par un plan d’action concret et si c’est incarné, ce qui se traduit dans la culture d’entreprise. Concrètement, nous accompagnons nos clients dans une démarche de transformation (qui peut viser de devenir société à mission ou B Corp) et cela passe par la construction d’un plan d’action qui implique des changements de pratiques et d’offres de l’entreprise. On mobilise les collaborateurs pour cela. »
Chez LDLC, il n’y a pas de raison d’être exprimée ouvertement. « Je dirais qu’on transpire cette raison d’être, s’amuse Laurent de la Clergerie, président du groupe. Il n’y a rien d’écrit, mais des valeurs communes : l’écologie, le respect du client… C’est ce que j’appelle moi l’âme de l’entreprise. »

En quoi le siège de l’entreprise incarne sa raison d’être et permet de fidéliser les talents ?
« Lorsqu’on s’est installé, on est arrivé dans 5000 m2 où tout était à disposition : salle de sport, réfectoire…etc, se souvient Laurent de la Clergerie, président du groupe LDLC. Or, on avait besoin de 2000 m2 de plus, qu’on a été contraints d’installer en face, de l’autre côté de la rue. Le risque était d’isoler une partie de l’équipe. Alors on s’est posé cette question : qu’est-ce qu’on peut mettre de l’autre côté de la rue que les collaborateurs du bâtiment principal vont regretter de ne pas avoir ? Il fallait créer une égalité entre les deux bâtiments. On a cherché, et on s’est dit : « un bowling ça rentre ». Ça a marché ! Plus globalement, notre campus est conçu pour que tout le monde se sente bien, et qu’on interagisse tous ensemble. On ne vit pas chacun à son étage. Au contraire, on incite à traverser la rue pour se rencontrer. De la même manière, il n’y a pas une machine à café par étage. Il faut se rendre à la cafétéria pour la pause-café. Je crois fondamentalement que c’est l’humain qui fait l’entreprise. »
« En fait, ce n’est pas le baby-foot ou le bowling qui fait le bon manager, ni l’inverse, nuance Guillaume Pellegrin, Président Fondateur de Newton Offices. Chez Newton Offices, on a mis l’accent sur l’ambiance de travail à travers l’acoustique et la lumière. C’est dans ce cadre qu’on insère, à la demande des clients, des éléments complémentaires de divertissement. Mais c’est avant tout la qualité de l’espace et son agencement qui vont avoir un impact majeur sur la qualité de vie au travail des collaborateurs. »
Les modes de gouvernance collaboratifs renforcent l’engagement des collaborateurs au travail. Comment l’initier en entreprise ?
« Tous les ans, depuis huit ans, j’organise cinquante réunions d’une heure pour l’intégralité de nos collaborateurs divisés en 50 groupes de 20 personnes, explique Laurent de la Clergerie, président du groupe LDLC. Je commence chaque réunion de la même manière : « Je n’ai rien à vous dire aujourd’hui, mais vous pouvez me poser toutes les questions que vous voulez, sur tous les sujets que vous voulez : je répondrai à tout, à condition que ce ne soit ni trop secret, ni trop perso. » Cette réunion est géniale parce qu’elle permet de prendre le pouls de la boîte. Mais aussi, parce que chaque question est une réponse. Ils m’apportent en réalité autant de réponses que je ne leur en apporte à travers leurs questions. C’est aussi important pour moi que pour eux. Ça m’oblige aussi à ne jamais mentir, à ne rien promettre que je ne tiendrai pas. Cet exercice me permet d’être transparent et de renforcer la confiance des collaborateurs dans l’entreprise. »
C’est un exemple de gouvernance collaborative parmi tant d’autres. « Plus généralement, observe Hélène Wirrmann du cabinet Utopies, une gouvernance collaborative nécessite d’abord une bonne écoute. À l’échelle plus individuelle, il y a un besoin de feedback. Aujourd’hui il n’y a que 16% des collaborateurs qui ont un retour sur leur travail. Or c’est important du point de vue de la reconnaissance et de la motivation, mais également de la compréhension de sa contribution et donc du sens de son travail. Il y a par exemple des ‘’shadow comex’’, un petit groupe de personnes, notamment de jeunes collaborateurs, qui peuvent venir partager leur vision et porter un regard sur le plan stratégique, voire être impliqués sur certaines missions. Cela enrichit la vision de l’entreprise et favorise l’échange. Enfin, on peut co-construire la feuille de route RSE de l’entreprise avec ses salariés et les impliquer pour participer à sa réalisation, avec par exemple des réseaux de collaborateurs formés, dont le rôle peut-être de sensibiliser à la politique environnementale en interne et en externe, assurer le suivi de projets et remonter ce qui pourrait être amélioré. »