Crise du covid, télétravail, tendance au freelancing, quiet quittinq… Ces dernières années, le monde du travail fait face à de nombreux défis. Des mutations qui incitent à une refonte des politiques RH, notamment en matière de recrutement. Mais comment recruter dans ce contexte complexe ? Et surtout, comment fidéliser les talents ? Éléments de réponse avec Nadine Saunier, Directrice Régionale Nord de Newton Offices, Aurelle Montanger, Directrice Générale au sein du cabinet de conseil RH Avizio et Gilles Lechantre co-fondateur de la société Anywr, leader du recrutement international et de la mobilité professionnelle.
Salaire, équilibre de vie, télétravail, quête de sens et flexibilité au travail… Devant l’évolution des critères de choix des talents d’aujourd’hui, les entreprises traditionnelles parviennent-elles à demeurer attractives ?
« On nous annonçait la fin des levées de fonds à plusieurs millions comme étant la fin du monde, observe Aurelle Montanger, Directrice Générale chez Avizio. Finalement, la vision a changé et, dorénavant, il semble que « rentabilité is the new sexy ». Les talents veulent s’assurer que le business model de l’entreprise qu’ils intègrent est solide. Ce changement de paradigme fait donc la part belle aux sociétés traditionnelles parce qu’elles se sont faites sans levée de fonds. Par ailleurs, les profils qui ont 15-20 ans d’expériences en start up et scale up vont s’intéresser à des ETI et grands groupes, faute de trouver en startup les débouchés et l’expérience qu’ils recherchent. C’est un autre phénomène qui joue en faveur des entreprises traditionnelles. »
Comment se montrer toujours aussi attractifs passé l’effet de nouveauté et après dix années d’existence ?
« Quand on a commencé, se souvient Gilles Lechantre co-fondateur de la société Anywr, on était le cliché de la startup. On a été bercés un temps par les levées de fonds, mais aujourd’hui nous sommes 1350 salariés et on ne peut plus se reposer sur le baby-foot pour attirer les talents. Le covid et la crise écologique ont tout remis en cause. L’attractivité d’Anywr repose dorénavant sur son ADN. Ce qu’on cherche, c’est de redonner du sens au collaborateur à travers la mission qu’incarne l’entreprise. C’est ainsi qu’est né Mercure, un projet interne qui accompagne 390 réfugiés sur les Hauts de France. Ce sont des personnes qui avaient une activité remarquable dans leur pays d’origine et qui ont tout perdu. Leur proposer des missions en interne et auprès de nos clients est porteur de sens. La diversité de ces parcours et de ces profils est inspirante. On est fiers de ce qu’on fait et, de fait, ça encourage les collaborateurs à parler d’Anywr d’une belle manière. Indirectement, ça valorise notre marque employeur. »
« Dans la construction de nos immeubles, comme dans les petites actions du quotidien chez Newton Offices nous adoptons une démarche éthique forte, rebondit Nadine Saunier, Directrice Régionale Nord. Par exemple, nous avons instauré une « Journée du mécénat ». Chaque année, pendant une journée, nos collaborateurs vont rejoindre une association pour donner de leur temps. Nous avons également développé un important volet d’actions sur la sobriété énergétique : ainsi nous mesurons notre bilan carbone et cherchons des solutions concrètes pour l’améliorer. »
Quel est le rôle du dirigeant d’entreprise dans l’incarnation de ce nouveau modèle de qualité de vie ?
« Selon moi, l’incarnation des valeurs est essentielle, explique Gilles Lechantre co-fondateur de la société Anywr. Avec Olivier, mon associé, nous sommes très sportifs. Olivier est un ancien athlète de water-polo et, de mon côté, je cours des Iron Man. Nous avons ouvert le recrutement à des sportifs de haut niveau. La première fois que j’ai vu un athlète arriver au bureau les yeux explosés après des heures de natation et, malgré tout, en pleine forme, ça nous a reboosté. Nos locaux favorisent la pratique du sport, nous avons une villa avec une piscine, des douches en entreprise et nos horaires sont flexibles. La pratique physique fait partie intégrante de notre ADN. Nous avons ainsi instauré l’application SMART qui favorise le sport et la bonne santé en entreprise. Au-delà de l’effet de communauté qu’elle introduit, cette application nous challenge sur le sommeil, la nutrition. C’est un véritable outil d’attractivité de l’entreprise. »
Les talents posent-ils aujourd’hui des questions différentes ?
« On a toujours ces questions récurrentes : « que fait la boite ? », « c’est quoi le marché ? », « quel est son potentiel ? », « quelles sont mes perspectives d’évolution ? », constate Aurelle Montanger, Directrice Générale chez Avizio. Mais, ce qui fait la différence, notamment sur les profils Tech, c’est surtout : « qu’est-ce que je vais apprendre de la personne qui va me manager ? », « qui est le manager et est-ce qu’il va me transmettre quelque chose ? » et « l’entreprise a-t-elle mis en place des actions pour me permettre de monter en compétences ? » Formation, mentoring, les profils de moins de 10 ans d’expérience affichent cette volonté claire de monter en compétences. Alors, quand on a des ‘’rock star’’ dans sa boite, certes elles coûtent cher, mais elles ont une valeur inestimable pour les talents qu’elles attirent. »

Comment évolue la perception de l’environnement de travail dans ce contexte ?
« La question qui est sur toutes les lèvres des dirigeants d’entreprise c’est : « comment inciter les collaborateurs à revenir au bureau ? », explique Nadine Saunier, Directrice Régionale Nord de Newton Offices. Ce qu’ils recherchent avant tout, c’est créer une dynamique dans l’équipe. Avec l’émergence du télétravail certains talents n’ont pas été très bien intégrés. L’objectif des bureaux, ce n’est pas seulement de proposer un endroit où travailler, mais aussi des espaces de partage, de convivialité, d’interactions sociales. »
« Le télétravail est un vrai bouleversement pour l’entreprise, rebondit Gilles Lechantre co-fondateur de la société Anywr. Je suis convaincu de l’effet waouh de nos bureaux : nous avons une villa avec piscine chauffée et un jardin où se baladent nos chiens. On a clairement attiré des talents comme ça. Je suis d’autant plus convaincu de l’importance des bureaux avec le télétravail, que beaucoup de jeunes ont été bloqués chez eux pendant le covid, et sont à la recherche d’un endroit où l’on se sent « mieux qu’à la maison ». Newton Offices l’a d’ailleurs très bien compris depuis longtemps, les conditions de travail sont essentielles. »
L’entretien d’embauche a-t-il désormais pour fonction de déterminer si les conditions de travail de l’entreprise répondent aux attentes du talent ?
« Il sert notamment à voir si cela fonctionne, acquiesce Aurelle Montanger. Après la vague de télétravail, les entreprises sont revenues progressivement à une culture d’entreprise plus présentielle. Ce qui fait qu’on est contents d’aller bosser c’est qu’on va retrouver des collègues, des afterworks, une vie sociale et une cohésion d’équipe. Chez Avizio, nous avons limité le télétravail à 1 jour par semaine. La visio a des avantages, mais si on ne voit pas régulièrement les gens, c’est difficile de savoir comment ils vont. Le télétravail n’est pas adapté à tous les jobs et toutes les personnalités. Et cela complexifie le management. On est passé d’un management en présentiel à un manager tracker : « tu étais où ? », « Tu as fait quoi ? » Bref, le télétravail ne convient pas à tout le monde… »
Qui sont les salariés boomerang qui partent et qui reviennent ? Et qu’est-ce que ça implique pour l’entreprise ?
« Chez Anywr, admet Gilles Lechantre, on ne fait pas du onboarding, mais du offboarding. On intègre cette pratique dans un processus qui fait qu’un talent entre et sort content de son expérience. Notre objectif est de faire en sorte qu’il garde une bonne image de la boite et, potentiellement, qu’il coopte d’autres talents. S’il part pour revenir, ce n’est pas un problème, bien au contraire. Il acquiert une expérience nouvelle qui fait qu’il va pouvoir accéder à un poste qu’il n’aurait jamais eu avant. »
« Je crois que c’est surtout une question de timing, ajoute Aurelle Montanger. La manière dont on part de son entreprise et dans quelles conditions, c’est fondamental. Le boomerang fonctionne quand le contrat dit, dès le démarrage, que l’objectif c’est de partir en bons termes. Ce phénomène a toujours existé. Le contexte actuel y est particulièrement favorable : l’herbe est plus verte ailleurs et les entreprises sont devenues un peu moins orgueilleuses. Je pense que c’est bénéfique car le salarié boomerang connaît la boite, il a appris à découvrir comment une autre boite travaillait, avant de revenir enrichi de son expérience. »
Quelles sont les erreurs à éviter pour recruter et fidéliser les talents ?
« Selon moi, commence Nadine Saunier, il faut surtout éviter de cloisonner l’entreprise. C’est essentiel de favoriser la flexibilité et la mobilité géographique, mais aussi ne pas cloisonner par rapport aux compétences et aux appétences. On peut évoluer en interne vers d’autres fonctions. Je crois beaucoup à la valorisation des différentes compétences et envies des collaborateurs sur divers sujets. »
« De mon côté, je crois qu’il vaut mieux éviter de recruter quelqu’un qui a déjà fait exactement le job que vous lui proposez, suggère Aurelle Montanger. Ce n’est pas très excitant. Ça ne fera pas vibrer les meilleurs talents, mais ça conviendra au talent moyen. Il faut aller chercher des gens avec qui il manque un ‘’petit bout’’ pour être LE talent parfait. Ainsi, le talent va se dire qu’il va apprendre des choses et ne pas s’ennuyer. Par ailleurs, en recrutement, je m’interdis de vendre la mariée plus belle qu’elle ne l’est. Je suis d’avis qu’il ne faut pas dire que tout est rose. On peut par exemple dire « ici on est très exigeants sur les personnes qu’on recrute », si c’est vrai, c’est challengeant. »
« Il faut recruter sans langue de bois, conclut Gilles Lechantre. C’est important la loyauté envers ses collaborateurs. J’aime bien dire aux nouveaux talents qu’on peut traverser des difficultés. Quand on a des jeunes qui arrivent chez nous, on n’hésite pas à leur retracer l’histoire de la boîte depuis le début, avec les galères qu’on a pu rencontrer. Une boite, ça se construit. Une association, aussi d’ailleurs. Comme dans un couple, il y a toujours le oui et le non. On se dispute, mais c’est comme ça que ça fonctionne. Aujourd’hui ça me paraît essentiel d’être transparent avec ses collaborateurs. »