C’est entre Le Rove et la Joliette, deux quartiers symboliques de Marseille, que Guillaume Pellegrin, Président Fondateur de Newton Offices, a donné rendez-vous à des acteurs clés de la métropole Aix-Marseille pour parler de son attractivité. Comment la crise sanitaire a-t-elle dynamisé les territoires ? Quelles sont les motivations d’une expansion en régions ? Et en quoi la métropole Aix-Marseille se démarque-t-elle à l’heure du “Quitter Paris” ? Éléments de réponse avec Anaïs Prétot, co-fondatrice de LiveMentor, startup récemment installée à Aix-en-Provence, Jean-Luc Chauvin, Président de la CCI Aix-Marseille Provence et Frédéric Micheau, Directeur Général Adjoint d’OpinionWay.
Selon les résultats du dernier sondage réalisé par OpinionWay pour Newton Offices, en quoi la crise sanitaire a-t-elle favorisé l’ouverture des entreprises aux régions ?
« Nous avions déjà réalisé nombre d’études sur les cadres : le télétravail, l’hybridation des modes de travail, l’équilibre vie pro-perso…etc, rappelle Frédéric Michaud, Directeur général adjoint d’OpinionWay. Mais cette enquête, réalisée au printemps 2022, dispose d’un angle inédit puisqu’elle porte sur les chefs d’entreprises. Nous avons interrogé 300 dirigeants d’entreprises (PME) basées en Île de France. On s’est intéressé à l’évolution de leurs politiques d’expansion en région, mais aussi de télétravail depuis la crise. D’abord, un point marquant : 1/3 des PME d’Île de France (31%) possèdent déjà un ou plusieurs bureaux en région. Pour la très grande majorité d’entre elles, l’antenne existante se situe à Lyon (58%) et, dans une moindre mesure, à Lille, Bordeaux ou Nantes. Leurs motivations sont avant tout économiques : capter une nouvelle clientèle sur place et bénéficier d’un nouveau bassin d’emploi. On note que, depuis peu, elles concernent également le bien-être et la qualité de vie des salariés. Parmi les 2/3 d’entreprises uniquement basées en Île de France, 1/3 a permis à ses collaborateurs de partir vivre en région tout en conservant son emploi depuis le début de la crise sanitaire. Dans le même temps, plus d’1/4 des salariés de ces entreprises n’habitent pas en région. On assiste donc à un changement d’état d’esprit des dirigeants d’entreprise d’Île-de-France qui s’est opéré avec la crise sanitaire. On note également que près d’un salarié sur trois (29%) des PME interrogées habite en dehors de la région parisienne. Plus globalement, 2/3 des entreprises franciliennes ont structuré une politique de télétravail depuis la crise sanitaire. 21% offrent la possibilité de travailler en full-remote, d’autres proposent la prise en charge totale ou partielle des frais de déplacement pour les collaborateurs habitant en région et l’offre de forfaits de coworking dans des espaces proches de leur domicile. »
À quelles mutations peut-on s’attendre dans les années à venir ?
« Si l’on se projette sur les intentions d’ouverture de bureaux en dehors de la région parisienne, reprend Frédéric Michaud, 10% des entreprises interrogées l’envisagent sérieusement. Cela peut sembler peu, mais ça concerne 100.000 emplois, ce qui est considérable ! Ce radar mental, qui consiste à vouloir ouvrir des bureaux en métropole régionale est donc un bon indicateur de changement. Parmi les zones géographiques les plus recherchées on retiendra Lille (33%), Aix-Marseille (24%), Bordeaux (22%), Nantes (16%) et Lyon (12%). »
En quoi la crise sanitaire a-t-elle accéléré l’expansion en régions ?
Selon Jean-Luc Chauvin, Président de la CCI Aix-Marseille Provence : « Ce sondage souligne la réalité de ce qui se vit sur les territoires. La crise sanitaire a été un accélérateur de plusieurs révélations. Les salariés et les chefs d’entreprises ont aujourd’hui un autre prisme que celui du travail exclusivement à Paris. La qualité de vie devient un élément majeur à prendre en compte. Les jeunes n’ont pas attendu la crise sanitaire pour agencer leur carrière en fonction de leur qualité de vie. Mais cette crise a permis d’accélérer la digitalisation du travail et la mobilité géographique des entreprises, y compris des PME. On est aussi en train d’observer aujourd’hui une crise des talents. Or, les difficultés de recrutement sont concentrées à Paris car le coût de la vie est plus important, pour une qualité de vie moindre. On est entré dans une période dite « des territoires », marquée par un mouvement des entreprises et des salariés vers les métropoles en région. »
Quels sont les enjeux futurs de la métropole d’Aix-Marseille ?
« Jusqu’ici, Marseille n’était pas perçue comme une grande métropole régionale par les parisiens et un certain nombre de dirigeants d’entreprise, reprend Jean-Luc Chauvin. Pourtant, Marseille est une ville monde, avec une économie monde, c’est à dire très diversifiée. Elle est très dynamique sur le plan des nouvelles technologies. Après Paris (4ème), c’est la 7ème métropole mondiale en termes de câblage, elle constitue donc le second hub de l’Hexagone. C’est un grand port, ce qui en fait aussi un haut lieu de l’industrie et du commerce. On est ici sur un territoire qui présente de forts atouts économiques, sans parler de son climat et de sa qualité de vie. Pour renforcer sa position, Marseille doit miser sur ses secteurs différenciants et notamment la santé et la recherche fondamentale, la data et l’économie numérique, ainsi que la décarbonation avec le projet Iter.
Qu’est-ce qui pousse les chefs d’entreprise à ouvrir des bureaux en région ?
Anaïs Pretot est la cofondatrice de LiveMentor, la plateforme de formations pour les entrepreneurs. En complément de ses bureaux à Paris, elle a fait le choix d’ouvrir une antenne à Aix-en-Provence. « Au cœur de la vision de LiveMentor, il y a la mission de créer de l’emploi et de rendre accessible l’entrepreneuriat dans les territoires, explique-t-elle. Disposer de bureaux à Paris ne nous convenait pas pleinement. D’abord, il y avait un désalignement dans le fait d’être installés à Paris et la volonté de créer de l’emploi en région. Ensuite, on se heurtait à une problématique de rétention de talents sur un bassin de l’emploi très concurrentiel. Enfin, la vie à Paris coûte cher et, soyons honnête, avec un salaire de 30K/an on n’a pas la belle vie. En même temps, on rencontrait des réticences de nos partenaires financiers chaque fois qu’on évoquait la perspective de partir en régions. La crise sanitaire a entraîné cette période de flottement où le bureau a été remis en question. Nous n’avons pas fait le choix de passer en full-remote, nous voulions des bureaux physiques. Mais nous avons profité de cette période de 100% télétravail pour agir, c’était le moment opportun. Un mois après le premier confinement, on a fait passer un sondage à nos salariés : pour ou contre une implantation en province ? Et à quel endroit ? Deux mois plus tard, on réservait 30 places dans un coworking à Aix-en-Provence et, en septembre dernier, l’aventure a commencé.»
Comment ouvrir une antenne de ses bureaux en région ?
Quand elle arrive à Aix, Anaïs Pretot, la cofondatrice de LiveMentor, est un peu déboussolée. « On avait besoin d’accompagnement parce qu’on ne connaissait pas du tout la zone, se souvient-elle. Pour vous dire, aucun de nous n’était venu à Aix plus d’une journée. Ça explique certains choix assez mauvais qu’on a pu faire au début. On a été contacté très tôt par Provence Promotion qui nous a repéré dans la presse. Ils nous accompagnés dans le choix de nos bureaux d’abord, mais aussi en assurant une sorte de hotline auprès de nos salariés pour les guider dans leur installation. On a été vraiment accompagnés. C’est, à mon sens, un des avantages pour une startup de s’installer en région : on bénéficie d’un accompagnement sur mesure qui n’a rien à voir à ce qu’on peut avoir à Paris où on est bien plus nombreux. Sur la partie recrutement en local, on s’est aussi aperçu qu’il fallait être proactif et se créer son réseau auprès des DUT, de l’école Kedge etc, plutôt que de passer par les réseaux startups type Welcome to the Jungle… »
Que recherchent ces chefs d’entreprise en région ? Et en particulier dans la Métropole d’Aix-Marseille ?
Au sortir du confinement, une antenne de LiveMentor ouvre donc ses portes à Aix, avec une vingtaine de collaborateurs. « On a choisi de s’installer à Aix, explique Anaïs Pretot, et je crois qu’on a été visionnaires. C’était plus différenciant que d’autres métropoles comme Bordeaux qui avaient déjà été prises d’assaut par les startups (ManoMano, Mirakl, Deezer…) et cela nous donnait accès à un territoire plus divers. On pouvait donc proposer la vie en ville avec la mer à Marseille, la ville moyenne avec Aix en Provence et la possibilité de vivre carrément à la campagne. On a recruté un peu plus de trente personnes ici. On a observé deux phénomènes : le recrutement de personnes qui veulent déménager, principalement des jeunes actifs attirés par Marseille, et des recrutements en local. »
Selon Jean-Luc Chauvin, Président de la CCI, les atouts de la métropole provençale sont nombreux : « Sur le secteur de la Tech, Aix-Marseille est très bien placée. Marseille compte aussi 98.000 étudiants et la première université francophone au monde. Notre métropole est aussi la métropole de la greentech, c’est là où on compte le plus de startups primées au monde ces dix dernières années. C’est aussi une métropole connue culturellement partout dans le monde, elle fait le lien entre l’Europe, la Méditerranée et l’Afrique. Enfin, Marseille dispose d’infrastructures majeures avec son port et ses entreprises comme la CMG-CGM ou Airbus avec Eurocopter. »
Où en est le financement des entreprises dans la métropole Aix-Marseille ?
« C’est un enjeu certain pour les acteurs du territoire, tant en ce qui concerne les levées de fonds et la croissance, » observe Jean-Luc Chauvin, Président de la CCI Aix-Marseille Provence. « On doit accélérer notre façon de travailler sur ces thématiques. Aujourd’hui, les grands fonds internationaux ne viennent pas sur les territoires, en particulier sur la métropole Aix-Marseille, parce qu’ils ne les connaissent pas. Notre mission est donc de favoriser la rencontre entre les chefs d’entreprise implantés dans les territoires et ces partenaires financiers. Par ailleurs, quand une entreprise veut se délocaliser et ouvrir des bureaux depuis Paris, c’est souvent pour augmenter la qualité de vie de ses salariés et baisser ses coûts fixes. Le problème c’est que lorsque la décision arrive au board, composé de personnes âgées de plus de 45 ans, le choix s’inverse. Ce n’est plus la qualité de vie des salariés qui l’emporte mais les réticences du board quant à l’éloignement de la capitale. Donc, on rattrapera Bordeaux et Toulouse si on est capable de construire notre image. Il faut qu’on aille plus vite et qu’on soit plus performants. »
De son côté, Anaïs Pretot peut se vanter d’être la preuve vivante qu’il est possible de lever des fonds dans les territoires puisqu’elle a levé 11 millions d’euros en 2021, six mois après son installation à Aix-en-Provence.
Et maintenant, on va où ?
« Toute la France a été structurée autour de Paris, reconnaît Frédéric Michaud, Directeur général adjoint d’OpinionWay. Paris, c’était pendant des siècles la France, avec une centralisation sans doute excessive. Depuis quelques décennies, on assiste à un phénomène de métropolisation bien enclenché, avec des points d’accès à la mondialisation bien structurés. L’étape qui va s’ouvrir c’est de travailler à rééquilibrer les territoires qui sont péri-urbains, ceux qui sont en périphérie des métropoles et de les faire dialoguer avec elles, de la même façon qu’elles dialoguent avec Paris. Aujourd’hui, une des aspirations des salariés c’est d’être en plus grande proximité des centres villes urbains. Cela redonne donc une attractivité à des zones qui pendant longtemps ont été qualifiées de « France moche » ou « France des lotissements » à tort ou à raison dénigrées. »
Un avis que partage Jean-Luc Chauvin, Président de la CCI Aix-Marseille Provence. « C’est, je pense, le temps des territoires, affirme-t-il. Les métropoles ont une responsabilité et doivent alimenter les territoires périurbains qui les entourent. La réussite d’une métropole aujourd’hui dépend de sa façon de travailler avec son écosystème périurbain et rural. Il va y avoir un rapport à la ruralité de proximité et au périurbain qui va s’accélérer. Il y a eu des étapes, celle de la régionalisation, puis celle des métropoles et aujourd’hui le monde est en train de s’ouvrir sur les territoires : périurbains et alentours. »